Le Baden Powell

Repartir de la ville s’avera particulièrement difficile. Peut-être parce que nous y avions passé de si bons moments. Surtout, parce que dans les prochaines semaines, nous n’aurions plus de temps de repos en ville avant d’arriver à Tehachapi, dans une dizaine de jour.

Nous allions commencer par gravir le Baden Powell, le deuxième sommet de plus de 3000m, à coté du PCT. Avec un peu d’apréhension et après un solide petit déjeuner, nous sommes reparti dans une jolie forêt, à travers la neige.

Apres quelques kilomètres, j’ai commencé à sentir une douleur dans mon dos. Ma tasse en aluminium me rentrait dans le dos, mais je ne voulais pas m’arrêter aussi vite. J’ai donc persévéré jusqu’à ce que la douleur soit vraiment gênante. Quand je me suis décidé à refaire mon sac, ce qui a du me prendre une minute, la douleur a diminué immédiatement, mais elle n’a pas disparu. Je ne le savais pas encore, mais cette douleur dans l’omoplate droite me poursuivrait presque jusqu’au Canada. Nous n’étions pas seul à gravir le Baden Powell. Beaucoup de randonneurs du WE avait décidé de tenter l’ascension. J’avais l’impression de courir à coté d’eux. Je les dépassais de plus en plus rapidement.

Le début de la montée était relativement facile mais très vite, le chemin fut recouvert d’une couche épaisse de neige et son tracé se perdit sous le manteau épais. Je suivais les traces de mes prédécesseurs qui, à partir d’un moment visiblement lassés, s’étaient mis à monter en ligne droit vers le sommet. Mes micro crampons au pieds, je suivis leur exemple. Une montée à pic dans la neige molle. Alex Cucumber n’avait pas de bâton, qui s’avéraient de plus en plus nécessaire pour avoir un appui dans la neige. Je proposais de lui en prêter un , mais par fierté, il refusa. La pente était si élevé que mes bras devaient fournir autant de travail que mes jambes. J’étais le premier du groupe au sommet. En sueur mais fier.

Apres une bonne pause déjeuner, une photo au sommet avec Idaho et son bidon de lait, et nous nous mimes en route pour le campement. Alex Idaho avait peiné plus que tous les autres sur la montée. Il n’était pas en forme. Je ne compris pas le sérieux de la situation à temps. En redescendant, nous avons cheminé avec le groupe de Thomas  composé maintenant de plus de dix personnes qui allaient au même endroit que nous  Nous commencions à stresser sur la possibilité pour autant de personne de camper au même endroit.

Nous avions décidé de camper à coté, au bout du camps qui commençait a être bien rempli à son entrée, et pour la première fois les gens se disputaient des emplacements. Les garçons étaient en train de chercher du bois pour faire un feu. Je montais ma tente sur une route de terre, en pensant qu’elle devait être bloquée par la neige à l’autre côté, et en priant de ne pas me réveiller sous des phares.

Ce soir là, nous avons tous mangé au coin du feu, en nous chamaillant gentiment.

Le lendemain matin, il faisait froid. Très froid. J’étais réveillé parmi les premiers mais je pris le temps de manger mon petit dejeuner, ce qui fait qu’encore une fois je partis après tout le monde. Je vis que la tente d’Alex était encore montée mais je n’en fis pas grand cas, je ne voulais pas le déranger. J’ai traversé pour la première fois une forêt brulée.

Nous sommes arrivés à la déviation des grenouilles : pour éviter de passer à travers une réserve de grenouille protégées, nous devions suivre une route pendant 5 kilomètres avant de regagner le trail.

Le bord de route était assez majestueux, et Je me suis dit que les américains étaient quand même chanceux de pouvoir prendre leur voiture, sortir de LA et arriver directement dans une telle montagne.

Nous n’avions toujours pas revu Idaho et nous avons fini par recevoir un message de sa part : il se sentait à nouveau mal et il devait redescendre en ville.

Nous avons commené la descente dans une vallée. A nouveau le paysage était brulé, calciné. Au milieu, un filet d’eau passait dans le cours de la rivière. Il ne tiendrait pas tout l’été, et peut être l’an prochain la piste serait de nouveau brulé. En traversant la rivière, j’ai croisé Thomas avec Gabriel et sa copine. Pour la premiere fois sur le trail, j’ai vu quelqu’un utiliser la technique paresseuse, c’est-à-dire de filtrer son eau par gravité en suspendant la poche à son baton de marche. J’avais l’impression que c’était une perte de temps, mais avant peu cela deviendrait un standard pour moi aussi.

Le paysage n’était pas très beau. Beaucoup de terre ocre. Je me souviens que j’ai commencé a convertir les autres au ramen-beef jerky au poivre bouilli. L’apres midi était sans particularité si ce n’est qu’en arrivant à une cabane d’un terrain appartenant aux scoots, j’ai eu droit au dernier hot dog qu’un volontaire, Brad, préparait. Dans la cabane, une porte d’un refrigérateur qui avait été détruite par les griffes des ours. EN voyant les dommages fait par ces animaux, je me suis résolu a être encore plus vigilant sur ma nourriture la nuit. Juste après une route nous avons eu droit à une deuxième trail magic. Peut être une des meilleures du trail.

Cela tenait sans doute à l’organisateur. Smoke, un jeune californien, blond, grand élancé, qui avait fait le PCT en southbounder (du nord au sud) en 2019. Il avait réussi à faire tout le PCT ce qui devient un exploit dans cette direction, les gens étant encore plus exposés aux feux de forêts. Il était adorable. Avec ses amis ils jouaient aux dés et préparaient des sandwichs chauds avec du fromage fondu et de la viande végétarienne, des œufs… Il avait une grande quantité de boissons. Un de ses amis est arrivé en retard et il lui a fait un câlin quand il est arrivé. Il se dégageait de toute sa personne une joie de vivre très belle. Nous avons marché un peu avec Kiki et Jannick. Nous avons parlé du confinement, et Janick et moi de nos métiers dans la santé. Le soir, nous sommes allés au seul point d’eau au milieu d’une longue portion désertique. Nous y avons retrouvé Nick, Melvin et Evan. C’étaient vraiment nos cousins du trails. D’une façon ou d’une autre, nous finissions toujours par atterrir au même endroit.

Ce soir-là j’ai décidé de cowboy camper à côté d’eux. C’était une grave erreur. Dans la nuit, l’humidité est tombé très fortement. Mon sac de couchage a commencé à geler. J’avais FROID. Mais vraiment froid. Les 3 garçons avaient tellement froid et sont partis vers 4H du matin. L’heure la plus froide. Je ne m’imaginais pas sortir de mon sac de couchage. J’étais réveillé pourtant mais bien décidé à ne pas bouger avant que les premiers rayons du soleil ne dorent mon duvet. 

Ce matin le soleil m’a sauvé la vie. Je pense que tous les cultes au dieu soleil ont du commencer par une nuit comme celle que je venais de passer. J’ai mis une bonne heure de marche pour me réchauffer.

Je pense que c’est un de ces matins ou j’ai pensé chaque matin est une épreuve, chaque soir une victoireJ’ai rejoins les 3 mecs à une caserne des pompiers, seul point d’eau d’une chaude journée dans le désert. Nous captions et donc nous avons tous profité un peu de la connexion avant de partir escalader la colline en face. La colline en face était brulée  de soleil, aucune ombre sous le soleil de début d’après-midi. Comme le premier jour, mon parapluie m’a sauvé la vie ce jour-là. La montée était vraiment longue, et la chaleur exténuante.

J’étais vraiment mort en arrivant au camp le soir, dans un petit camping pas en service, mais avec le luxe des toilettes sèches. Ce soir, nous étions à un mois de randonnée déjà. Un mois merveilleux. Un mois qui avait tanné ma peau comme dix ans.